Automobile et chefs d’Etats: Histoire et anecdotes

Automobile et chefs d’Etats: Histoire et anecdotes

Automobile. Voilà un nom chargé d’histoire. Bête de somme, outil de tous les jours, objet des convoitises, l’automobile s’est immiscée au fil des décennies comme  une banalité quotidienne, se fondant même dans les décors ruraux et urbains. Il existe cependant une catégorie de personnes, hors-normes, pour qui une automobile se doit d’être comme eux : hors normes.

Dès le début de 20e siècle, l’automobile est intimement liée à des destins présidentiels

Notre histoire commence au début du XXème siècle, dans les années 1900. L’automobile s’immisce peu à peu dans la société, cherchant sa place auprès du sempiternel cheval.

En France, dès 1906 : 

En France, c’est en 1906 sous le mandat d’Armand Fallières que l’automobile sera, pour la première fois utilisée officiellement par un président de la République. Passionné de mécanique, il adoptera notamment lors de son mandat une Charron-Girardot-Voigt 30 cv Berline et une Panhard & Levassor Type J 18cv.

Aux Etats-Unis ensuite : 

De l’autre côté de l’Atlantique, aux Etats-Unis, c’est en 1901 que William McKinley utilise pour la première fois une automobile. Mais ce moment est plutôt bref. Il faud finalement attendre le mandat de William Howard Taft en 1909 pour que l’automobile intègre officiellement la Maison Blanche.

Succédant en effet à Théodore Roosevelt, qui était alors très attaché au cheval, William Howard Taft transforme les écuries présidentielles en garage, pour y stocker 4 automobiles : 2 très luxueuses Pierce-Arrow, une Baker Motor Vehicle électrique, et surtout, en 1911, la White Motor Company Steam Car. Cette dernière sera très appréciée du président, lui permettant notamment d’être visible par les photographes de presse grâce à la carrosserie Torpedo du véhicule.

C’est ainsi que peu à peu, l’automobile devient une norme pour les chefs d’Etats, reléguant peu à peu l’hippomobile au statut d’antiquité dépassée.

  • Quelques clichés d’époque :

 

  • Pourquoi cet engouement pour l’automobile ?

Être Chef d’Etat et rouler en automobile dans les années 1900 et 1910, c’est donner une image moderne et révolutionnaire de soi même, et donc, du pays. C’est dans ce contexte que l’automobile d’Etat gagne en importance au fil des mandats et années…

Dans les années 20 et 30, c’est l’incarnation du pouvoir

Dans les années 20, la voiture d’Etat devient une norme. La plupart des Chefs d’Etats ont leurs voiture. Aussi, pour se démarquer, il faut se la jouer à « qui a la plus grosse ». Renault 40CV, Voisin Coupé De-Ville, Rolls-Royce Phantom I,…

Cette image de puissance prend une tournure encore plus importante dans les années 30. Dans un contexte d’après crise (krach boursier) et d’avant-guerre, la voiture présidentielle incarne la puissance économique, mais aussi militaire du pays.

En Allemagne d’abord :

Surnommée « Super Mercedes » l’impressionnante Mercedes 770K du chancelier Adolf Hitler incarne avec brio la volonté de domination du IIIème Reich. Une voiture puissante, clinquante, exubérante, imposante, avec ses 5,60 mètres de long (à titre de comparaison, une classe S, plus grande voiture de la gamme Mercedes, mesure « seulement » 5,10 à 5,25 mètres selon la configuration choisie). Motorisée par un puissant 8 cylindres en ligne, elle peut atteindre les 160km/h malgré ses 3 tonnes. Ce véhicule marquera beaucoup le peuple Allemand, notamment par ses nombreuses apparitions télévisées.

Puis en France : 

En France, les présidents se tournent vers Renault, plus particulièrement vers les Reinastella, et plusieurs modèles sont adoptés, remplaçant les vieillissantes Renault 40cv et Voisin C3/C4.

D’abord adoptée par Paul Doumer sur son court mandat (il sera assassiné moins d’1 an après son élection), la Reinastella suivra les 2 mandats présidentiels d’Albert Lebrun. Premier 8 cylindres (en ligne) fabriqué à l’usine de Billancourt, la Reinastella est une limousine statuaire, confortable et performante, capable d’atteindre les 125km/h, le tout pour une fraction du prix d’une Mercedes 770k.

En plus de la Reinastella, d’autres hauts de gammes Renault complèteront la flotte présidentielle, comme la Reinasport, puis les plus modernes Viva Grand Sport et Nervastella à la fin des années 30.

 

De l’autre côté de l’Atlantique :

Si la voiture d’Etat suit la même logique que chez-nous, elle prend un tournant radical au début des années 40.

Elu une première fois en 1933, en tant que 32ème président des Etats-Unis, Franklin D. Roosevelt cumulera 4 mandats présidentiels (jusqu’à son décès le 12 Avril 1945). Sa voiture fétiche, la Lincoln V12 Convertible (affectueusement surnommée « The Sunshine Special »), marquera beaucoup son mandat.

Cependant, après que le Japon eu déclaré la guerre aux Etats-Unis en Décembre 1941, « Sunshine Special » bénéficiera de lourdes modifications pour protéger le président de toute tentative d’assassinat. Ainsi, celle-ci se verra ajouter plusieurs éléments de carrosserie blindés, des pneus increvables, et des vitres pare-balles. Cela porta le poids total du véhicule à environ 4 tonnes. Pour la petite anecdote, ceci n’empêcha pas le président de rouler décapoté car il préférait saluer la foule « au risque de sa vie ».

Après la seconde guerre mondiale, place à la sécurité

Après la guerre, une prise de conscience se fait au niveau de la sécurité que doit avoir une voiture de un Chef d’Etat.

La France innove : 

Plus performante, plus aérodynamique, la première petite révolution arrive en France au milieu des années 50, avec les 2 très belles Citroën 15-six H conçues spécialement pour le président de la République, René Coty.

Avec sa tenue de route surpassant encore tout ce qui se faisait à l’époque (malgré une conception vieille de près de 20 ans), la 15 six-h est la meilleure base possible après la guerre pour la conception d’un véhicule statuaire et, surtout, sécurisant ! La structure monocoque de la traction en fait un véhicule beaucoup plus sûr en cas d’accident par rapport aux autres véhicules de cette époque. Et tenue de route surpasse de loin les autres automobiles, qui étaient pour la très grande majorité des propulsions.

La 15-Six H, la plus moderne des « Traction-Avant Citroën » reprend les qualités de ses aïeules et y ajoute un système de suspensions hydraulique sur l’arrière du véhicule. Ce système de suspensions offre un meilleur confort à ses passagers, et une tenue de route encore meilleure. Deux carrossiers seront missionnés par l’Elysée pour fabriquer, sur cette base, deux véhicules présidentiels: Marius Franay en premier, qui fabriquera une limousine reprenant les lignes modernes « ponton », puis Henri Chapron pour un Landaulet aux lignes générales assez proches de la limousine Franay.

Ces deux 15-six H spéciales seront utilisées par Réné Coty jusqu’à la fin de son mandat, malgré la présentation en 1955 de la révolutionnaire Citroën DS. Puis par Charles de Gaulle au début de son mandat, aux côtés des Simca Présidence et des rares Renault Frégate.

Une voiture sauve la vie du Président français en 1962 :

Par un heureux hasard pourtant, c’est à bord d’une Citroën DS que Charles de Gaulle se trouve lors de l’attentat du Petit-Clamart le 22 aout 1962. La voiture, atteinte de 14 balles, parviendra malgré tout à s’échapper, avec 2 pneus crevés et sur un sol mouillé. Une prouesse que l’on doit aux suspensions hydrauliques de la DS, permettant de rouler, littéralement, sur 3 roues.

Dès lors, la DS deviendra la voiture fétiche de De Gaulle. L’Elysée commande en 1962 un nouveau véhicule d’apparat au carrossier Chapron, afin de remplacer les vieillissantes 15-six H. Dans le cahier des charges il est précisé que la voiture devra être plus longue que celle du président américain (la tristement célèbre SS-100-X), et suffisamment haute pour accueillir les 1,93m du général De Gaulle… Mais surtout, ce devra être une DS !

La voiture sera livrée en 1968. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le pari est réussi ! Avec ses 6,53m de long (3cm de plus que la SS-100X), et sa hauteur de toit augmentée, la DS présidentielle est une réussite. Sous le capot, la DS du président reçoit la mécanique de la DS21. Soit un 2 175cc développant environ 109ch, une puissante suffisante pour rouler « au pas ».

Elle ne servira malheureusement officiellement que 3 fois, le contexte social de Mai 1968 la rendant finalement trop ostentatoire.

 

Du côté des Etats-Unis, ce sera principalement la SS-100-X, qui marquera l’après guerre :

Développée sur une base d’une Lincoln Continental convertible de 1961, la SS-100-X est livrée le 15 Juin 1961 à la Maison Blanche. Rallongée et mesurant quelques 6,5 mètres de long, elle n’est pas blindée. Elle dispose toutefois d’un châssis et de suspensions renforcées et d’un rayon de braquage spécialement raccourci pour n’être « que » de 18,9m.  Malheureusement, elle marque les mémoires durant l’attentat du 22 novembre 1963, jour de l’assassinat du Président John F. Kennedy.

Après ce triste évènement, elle reçoit plusieurs modifications : des panneaux blindés en titane, un hard-top et des vitres pare-balles. Ainsi parée, la voiture pèse près de 5 tonnes… Ce qui ne l’empêche pas d’atteindre les 160km/h, (ou 80km/h avec les 4 pneus crevés) ! Elle sert les présidents Nixon, Ford et Carter, et voyage à travers 32 pays. Elle est finalement remise dans sa configuration d’origine par Ford, puis offerte au « Richard Nixon Presidential Library and Museum ».

Depuis le triste attentat de novembre 1963, toutes les voitures présidentielles américaines, jusqu’à la Cadillac One servant les mandats d’Obama et Trump, sont de véritables forteresses sur roues, équipées des meilleurs blindages et protections.

En France, un féru d’automobile arrive au pouvoir en 1969

Du côté de la France, nous mettons un point d’honneur à rouler dans les plus beaux produits français, et ce dès 1969 avec l’arrivée au pouvoir de Georges Pompidou.

Féru d’automobiles, il apprend dès le début de son mandat la venue en France de la Reine d’Angleterre Elizabeth II. Il est alors décidé que lui et la Reine paraderont dans un cabriolet… Sauf que, de tout le parc automobile de l’Elysée le seul cabriolet en état de marche est une antique Talbot Lago T26, vieille de plusieurs décennies.

Un nouveau véhicule d’apparat est alors commandé, et, pour ne rien changer, ce sera le carrossier Chapron qui s’en chargera ! S’appuyant sur la base de la Citroën SM, cette voiture doit être découvrable, spacieuse, et avant tout, belle !

Deux exemplaires de ce véhicule seront fabriqués. Facturés près de 700 000€ pièce, les SM de l’Elysée sont de véritables prouesses technologiques : malgré un rallongement et un élargissement du véhicule, son poids restera sous les 2 tonnes. Ces SM seront utilisées jusqu’au mandat de  Jacques Chirac.

Depuis lors, l’Elysée s’équipe principalement de véhicules de série : Peugeot 604, Citroën CX, Renault 30 puis 25,… jusqu’aux Renault Espace V, DS7 Crossback et Peugeot 5008 II actuels !

Notons toutefois une Peugeot 607 rallongée et carrossée en landaulet, la 607 Paladine, que Peugeot prêtera à Nicolas Sarkozy pour son investiture.

Bien au delà du simple moyen de transport, l’automobile présidentielle est un outil de communication

Ainsi, de simple curiosité technologique, l’automobile s’est imposée en un siècle comme un vecteur de communication, et même de propagande pour les Etats. D’abord clinquante, imposante, puissante. Puis avec une dimension sécuritaire croissante, dès les années 40, et qui prendra de l’ampleur dans les années 50 et 60.

Comme le chef d’Etat au pouvoir, la voiture d’Etat a la lourde tâche d’incarner les valeurs du pays qu’elle représente. Elle représente un défi de taille pour les constructeurs. Défi relevé avec brio depuis plus de 100 ans !